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publication ≠ 1

TRAHISON, une leçon de cinéma



















Sa joue sous ma bouche.
Sa bouche sur ma joue.
Douceur étrangement inattendue du frôlement de nos peaux.
Frôlement conventionnel d’un anodin bonjour, devenu exceptionnel de trop d’attente et d’imaginaires rencontres.
Il m’avait donné rendez-vous au Louvre où il disait vouloir me montrer les hermaphrodites (?!)

Nous marchons déjà.
Nous marchons encore et encore.
Trop de monde, c’est un Dimanche.
Je ne vais jamais dans les musées le Dimanche, surtout pas au Louvre.

Nous marchons encore.
Moi,
comme une automate.
Je me laisse guider, nous parlons de nous, de nos vies,
un peu.
Lui,
étrangement calme. Il cherche sans laisser voir qu’il est perdu,
peut-être.
Je me demande à quel moment il va me questionner à propos de ce signe distinstif qui fait comme un accent sur ma bouche. Tous ceux qui un jour ont eu envie de m’embrasser, m’en ont parlé. Je me demande à quel moment il va le faire. Comment il va s’y prendre. Je me demande quand, il va me proposer d’aller chez lui. En fait j’aimerais qu’il m’emmène immédiatement, sans même savoir ce que j’ai envie de faire. Qu’il m’entraîne par la main.
Il dirait : « allez viens, on s’en va ; il y a trop de monde ici ». Je ne demanderai même pas où l’on va puisque je le sais.
Nous parlons ou plutôt,
il
parle « cinéma », et c’est sur un banc, un peu à l’écart,
un banc : « rien que pour nous deux » me dit-il,
qu’il m’explique tel le professeur qu’il a toujours rêvé d’être, les rudiments de l’écriture d’un scénario.
Trop de bruit. Pas concentrée.
Il ne m’a toujours pas demandé pour ma cicatrice, mais je sens, je sais,
que c’est pour bientôt,
là, maintenant.
Chaque fois que je le regarde, il ne peut que voir dans le reflet subliminal de mes pupilles comme imprimée pour la lui dicter :
LA question.
J’ai failli ne pas attendre, me pencher vers lui,
et lui prendre sa bouche,
cette bouche si pleine de promesses.
Il fait chaud.
On étouffe.
Je suis étourdie par sa voix, le premier signe que j’avais eu de lui, le jour de notre rencontre.
Ce jour là, il était assis sur ma droite quelques rangs en arrière. A la fin du cours il avait pris la parole, et je m’étais retournée pour (sa)voir... Le cours suivant, j’avais choisi le rang juste devant lui,
déterminée.
Et, chaque semaine, je cherchais à me rapprocher encore d'avantage afin de percevoir, la suave résonnance de sa voix basse lorsqu’il murmurait suffisamment haut pour que je puisse l’entendre.


















Il me parle de fleurs.
D’un bouquet de fleurs.
D’un bouquet de fleurs dans un vase.
Puis j’entends un mot étonnamment familier : TRAHISON.
Il parle,
d’une histoire de fleurs qui se fanent lentement.
En fait, le « maître » a posé une question à « l’élève" et la question est de savoir comment traduire la trahison en images au cinéma ?

Je comprends à cet instant précis, qu’il ne posera peut-être jamais LA question.
L’autre.
Celle que j’attends.
Ce jour là, il ne m’a pas embrassée, il ne m’a pas emmenée chez lui. Pas même le temps d’aller prendre un café ou un thé … trop de travail…J’ai pensé qu’il allait me déposer en scooter et que là, quand j’ôterai le casque, j’aurai peut-être une petite chance d’entendre MA question.
J’ai marché, marché… j’ai traversé la place de
la Concorde,
le Palais Royal,
les Halles,
République,
Bastille…
Trahison.
Oui, ce mot m’est devenu familier depuis que je l’entends en boucle, dans sa bouche, dans la bande son de l’une de ses vidéos, que je me suis passée et repassée, l’été dernier après la fin des cours, alors que je pensais peut-être ne plus jamais le revoir. J’avais fini par l’enregistrer sur mon dictaphone, pour pouvoir écouter ces mots,
le soir,
souvent avant de m’endormir ;
SES mots, au grès de mon désir.
Je les connais presque par cœur,
comme une chanson triste.

















Hier une amie m’a offert un bouquet de fleurs.
Des roses et des frésias jaunes.
Elles n’ont pas tenu longtemps.

Deux jours à peine. Elles se sont flétries sans même prendre le temps de s’ouvrir complètement. J’ai pensé : « c’est peut-être un signe ».
Je ne les ai pas jetées. J’ai pris une paire de ciseaux et j’ai coupé la tige de chacune des roses à environ cinq centimètres de leur tête, puis j’ai sélectionné les quelques frésias semi-fanés et je les ai coupés de la même façon. Je les ai déposés délicatement deux par deux dans des petits verres qui s’emboîtent parfaitement dans des bacs à semis en métal, qui se trouvent près de la fenêtre et la plupart du temps
vides,
en attente des plantes que j’envisage très régulièrement, mais sans passer à l’acte, d’aller cueillir à la sauvette dans le jardin public d’a côté …

Tout en m’appliquant à disposer les fleurs je repense à cette soirée où il est venu dormir chez moi. En arrivant, ce soir là, il m’avait donné fiévreusement - en s’excusant de ne pas avoir acheté un bouquet - une carte postale ! Il l’avait sortie de la poche intérieure de son blouson, comme si cela venait de son cœur. J’avais failli trouver le geste attendrissant

Côté face, une composition florale à partir de photographies dont il était l’auteur.
Côté pile : quatre mots tracés au feutre noir en lettres capitales.
Des mots qui se croisent : POUR FLORIANE TENDREMENT et son PRENOM.
Et, là j’ai pensé que « l’effet » carte postale n’étais pas inédit.

Aujourd’hui, je regarde cette carte, le seul cadeau qu’il ne m’a jamais fait. Je la vois tous les jours, je l’ai laissée à sa place, sur mon bureau.
Ce matin là, il avait fait le tour du studio, en observant jusque dans les moindres recoins, comme s'il photographiait chaque objet ; il en regardait certains de plus près, en saisissait d’autres pendant quelques secondes, puis les reposait.
Sans un mot.
Etrange manège.
Je ne l’avais jamais fait avant, mais ce jour là, je me suis approchée de la fenêtre, puis j’ai légèrement écarté le voilage, pour le voir encore un peu. Il était posté devant l’immeuble, on aurait dit qu’il comptait les étages, pour mieux repérer celui de mon appartement, j’ai failli sortir sur le balcon, j’avais envie de lui faire un petit signe, de lui crier tout bas ces mots ridicules qu'on dit parfois au cinéma, mais j’ai su qu’il cherchait déjà à faire de ce moment et cet endroit un souvenir. Il a regardé longtemps, alors, je me suis écartée lentement de l’encadrement de la fenêtre, et j’ai pris la carte dans mes mains, j’ai relu les mots en croix avec l’apparente paradoxale autorité de leurs capitales.

POUR FLORIANE TENDREMENT, ces trois mots là se croisent, mais les cinq lettres de son prénom, se détachent, en bas à droite, elles ne sont reliées aux autres que par le M de tendrement.
Au verso : le bouquet de fleurs empoigné à bout de bras, dans ses mains à lui, violemment érigé comme une revendication. Un bouquet morcelé. Quatre fois quatre petits panneaux qui tentent de recoler les morceaux avant l’heure. J’ai posé délicatement le précieux cadeau, dans le vase carré en verre transparent, sur mon bureau, elles sont comme dans un bocal.
Pas besoin d’eau, ces fleurs là ne faneront pas.
Elles sont déjà mortes,
le coup serré entre des mains tendrement tyranniques,
et,
mortifiées par le couperet du rideau photographique.

Puis,
j'ai entendu le bruit du moteur s'éloigner,
TRA-HI-SON.

















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titre : Trahison, une leçon de cinéma.
texte & photos : mademoiselle icare

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